Patrick Laskar, président de la communauté pendant près de trente ans, a retracé en 2012 les premières années de la Communauté Juive Libérale de Toulouse. Un témoignage précieux.
Tout a commencé en 1992, autour d’une table chez Nicole, la fille de Roger Zimermann, notre regretté vice-président fondateur, dont notre centre porte le nom. Nous nous étions réunis à l’initiative de Roger et de ses filles, Nadine et Nicole, de Cathy et Georges Wasserhardt et de moi-même. Ce groupe de « pionniers » avait pour objet de créer un cercle d’études du Judaïsme libéral.
Le but était de faire entendre la voix du Judaïsme libéral dans une communauté qui s’orthodoxisait de plus en plus, sous l’impulsion du mouvement Loubavitch.
Certains d’entre nous avaient fréquenté des communautés libérales à Paris, notamment Copernic, c’était le cas de Roger et Paulette. Les autres, dont moi-même, étions des cadres communautaires engagés, anciens des Eclaireurs Israélites de France, de plus en plus mal à l’aise dans ce cadre religieux « orthodoxe » et loin du minimum commun qu’était le principe des Eclaireurs Israélites.
Nous étions soucieux de l’avenir du Judaïsme à Toulouse, et je dois préciser qu’aucun d’entre nous n’avait de problème de statut personnel. Chacun avait son niveau de pratique, Nadine et moi, plutôt pratiquants, les autres un peu moins.
J’avais moi-même pris contact avec le Mouvement Juif Libéral de France quelques temps auparavant, à l’occasion d’un voyage à Paris, et j’ai découvert le Judaïsme libéral au travers d’offices dans la synagogue de la rue Gaston de Caillavet et d’écrits sur les principes du MJLF.
Je dois dire que cela a été une révélation pour moi, je n’avais jamais entendu parler de ce mouvement, pourtant ancien en France depuis le début du XXème siècle. Je n’avais pas eu la chance de fréquenter de synagogue libérale et personne dans notre entourage familial non plus.
Mon approche du judaïsme libéral
Je sors d’un milieu traditionaliste typique de ce Judaïsme algérien, plus attaché aux coutumes juives qu’au “dinim ” et à la fréquentation synagogale, sauf pour les grandes fêtes. Mon père savait tout juste lire l’hébreu et ne connaissait pas grand-chose au Talmud.
C’est à partir de l’âge de 25 ans que je me suis intéressé puis passionné pour la culture juive et que je me suis formé pratiquement tout seul. Je n’ai jamais eu de maître en Judaïsme, certainement parce que je n’avais pas trouvé le maître idéal, mais aussi parce que j’ai tout de suite compris que le devoir de tout Juif était la transmission et que la transmission passe par une connaissance solide. Garder son sens critique et ne pas accepter l’interprétation de tel rabbin ou de tel autre, mais se faire sa propre opinion : tel était mon challenge.
J’ai trouvé dans l’approche du Judaïsme libéral des réponses à ce questionnement. Être un Juif majeur et responsable qui ne se contente pas des réponses toutes faites de personnes prétendument religieuses ou savantes.
Un évènement familial a été déterminant aussi dans ce choix. J’ai célébré la Bat-Mitzvah de ma fille Laura en 1991, à la manière d’une Bar-Mitzvah. J’avais préparé ma fille à cet évènement, la faisant lire un morceau de sa Parasha dans la salle de la fête. Elle avait reçu une formation solide au Talmud Torah de l’école Bialik. Elle avait préparé un commentaire de Torah et lu le poème d’Edmond Fleg : Pourquoi je suis juif.
C’était la première Bat- Mitzvah digne de ce nom à Toulouse. Inconsciemment, j’étais déjà engagé dans une démarche libérale.
Les pionniers de la communauté
Revenons-en à nos pionniers autour de la table et du Cercle libéral en gestation. Comment se faire connaître et récolter des fonds pour créer notre Association ?
Nous avons eu l’idée de faire venir à Toulouse, le Rabbin Pauline Bebe, diplômée du Leo Baek College en 1990 et première femme Rabbin en France et Europe continentale – pour une conférence sur le Judaïsme libéral. Ce fut un succès total, avec plus de 400 personnes au Centre Communautaire de la rue St Étienne. Beaucoup par curiosité, quelques uns pour l’intérêt qu’ils portaient au Judaïsme libéral.
Cela nous a permis de former un noyau de sympathisants et de créer l’embryon de l’AJLT. Très vite une personnalité importante en la personne de Jean Abécassis, nous a rejoints. Très vite se sont mis en place des cours de Torah et des offices de Shabbat une fois par mois. Les offices avaient lieu au domicile de certains membres et cela tournait.
Pour Kippour, la première année, nous avions fait appel au ‘Hazan Emile Kacemann, oncle du Rabbin Garai dont la réputation était immense. Pour Pessah, très vite le principe du Seder communautaire a fait jour et s’est institué annuellement.
Peu de temps après Emmanuel Kas, Marc et Catherine Neiger ont adhéré ; ils vont jouer un rôle important dans notre Communauté. A noter que parmi les pionniers figurait aussi notre mère à tous, Eliane Dutech, qui nous a toujours soutenus ; mais aussi Roger Rosenthal et bien d’autres.
Très rapidement aussi s’est constitué le Talmud Torah, indispensable à la pérennisation de notre mouvement.
Le Cercle d’études avait évolué, et bien sûr le problème d’un local s’est imposé à nous comme une nécessité.
La communauté s’organise
C’est en 1995 que nous l’avons trouvé, rue Gabriel Péri, au dessus du Théâtre des 3 T. Ce n’était pas très grand, mais pour nous c’était une étape importante. Le temps du nomadisme était terminé.
C’est à cette époque que nous a rejoint notre ami, Jacques Bismuth. Sous son impulsion, nous nous sommes réellement organisés au niveau du Conseil d’Administration : archivage des décisions, création d’un Bulletin, plus tard d’un site Internet, etc… Quelques temps après, c’était au tour de Guy Ivanier d’adhérer, puis de participer rapidement au Conseil d’Administration. Cette fois, c’est dans le secteur comptabilité et organisationnel que Guy nous apporta sa rigueur et son savoir faire.
Je reviens à Emmanuel KAS, qui était notre ‘Hazan à l’époque. Voilà un homme de qualité, très intelligent, très exigeant avec lui-même et avec les autres, doté d’un caractère fort et sans nuance. Il nous a accompagnés durant quatre à cinq années, avec beaucoup d’investissement personnel et de cœur. Il est parti, jugeant notre organisation trop « amateur »…Il voulait une organisation à l’américaine, qu’il n’était pas possible de mettre en place. Il nous a beaucoup apporté au niveau de la rigueur et de la liturgie. Ce fut une perte important.
Après son départ il a fallu le remplacer et c’est Marc Neiger qui s’est proposé. Il lui a fallu beaucoup de courage et d’abnégation pour prendre ce poste. Il
n’était pas doté d’une voix harmonieuse, n’avait qu’une connaissance limitée du Judaïsme (à l’époque), mais il avait une volonté et une capacité de travail impressionnantes. Avec son épouse, Cathy, qui a pris en charge le Talmud Torah, ils ont animé les offices et les cours de Talmud Torah de notre AJLT pendant sept à huit ans, jusqu’à leur départ de Toulouse.
Les premiers centres communautaires
Revenons-en à la chronologie : 1995, local de la rue Gabriel Péri. Très vite ce local se révèle exigu. 1997, migration vers le local de la rue St Lys, où nous resterons jusqu’en 2011.
Ce local était un ancien laboratoire d’analyses, appartenant à un ami, qui nous le louait pour un loyer modique. Et la Communauté se mobi-lise et se transforme : qui en maçon, qui en peintre, qui en charpentier, qui en décorateur… Le résultat fut impressionnant ; casser tous ces petits box pour en faire une Shule digne de ce nom, tient du miracle…et le mi-racle eut lieu… Tout le monde a mis la « main à la pâte ».
Je dois dire que cet esprit a perduré pendant vingt ans et je peux affirmer que, pour les membres fondateurs et ceux qui nous ont rejoints par la suite, c’est l’élément fondamental de notre réussite. Cela n’a jamais empêché les discussions, les « coups de gueule », mais dans le respect de l’autre et c’est toujours l’intérêt général qui a primé en définitive.
Les fondateurs
Cela, nous le devons en grande partie à notre ami Roger Zimermann, qui nous a quitté en 2002
Il s’est lancé dans cette aventure à l’âge où une retraite bien méritée l’attendait tranquillement, entre son “bridge” et sa passion pour le tennis.
Avec sa femme, Paulette, il aurait pu “cultiver son jardin”, le devoir accompli d’avoir élevé trois filles : Nicole, Nadine et Léone. Il s’est investi dans ce projet avec sa gouaille légendaire, et ce paternalisme attentif nous rassurant durant les moments difficiles, nous aiguillonnant lors des étapes cruciales de développement. Bref, il était notre caution morale et notre confident, rendant notre équipe de quadras plus crédible vis-à-vis de l’extérieur, à la vue de ses cheveux blancs.
Ce n’est que justice, si notre Centre Communautaire porte son nom en regard du travail accompli et je suis sûr qu’il veille sur nous. Nadine, sa fille continue son action en s’investissant depuis le début dans la Communauté et en ayant pris des responsabilités de plus en plus importantes depuis la disparition de son père. Il est inutile de vous présenter Nadine, que vous connaissez tous ; elle est une soeur de coeur pour moi, elle a toujours su répondre présente lors de nos sollicitations et l’AJLT peut s’enorgueillir d’avoir en son sein une personne de cette qualité.
Bien sûr, je n’oublie pas notre ami Georges Wasserhardt et Cathy, son épouse. En dehors d’être mon ami d’enfance, un ancien des Eclaireurs Israélites, un membre fondateur de l’AJLT, il est certainement la mémoire vivante de notre communauté. Il est aussi doté d’un sens de l’objectivité légendaire, ramenant certaines envolées utopiques à la dure réalité des choses. Il est certainement le moins connu de notre bande, car la fréquentation de la synagogue n’est pas son fort, mais cela ne l’a pas empêché de réaliser un travail ingrat de comptabilité et de secrétariat dans notre Association… loin des feux de la rampe. C’est un pilier de l’AJLT et le roi de la logistique.
Donc, nous voilà installés rue Saint Lys, dans des locaux flambants neufs, fiers du travail accompli et conscients de la tâche qui s’ouvre à nous. Développer cette Communauté, trouver un rabbin, faire entendre notre différence dans une volonté d’unité du Judaïsme toulousain… A ce propos, notre adhésion au CRIF a été obtenue rapidement en 1994.
La communauté s’agrandit
C’est à ce moment que débarquent deux personnalités importantes.
Tout d’abord Boaz et sa femme Françoise. Notre prise de contact fut un peu mouvementée, lors d’une assemblée générale où cet empêcheur de tourner en rond commençait sa carrière d’administrateur impatient mais soucieux d’efficacité. Il s’est rapidement montré indispensable dans notre organisation, jusqu’à en devenir le vice-président naturel. Prise en charge des manifestations culturelles et cultuelles, cours de conversion et tant d’autres choses qu’il serait trop long d’énumérer ici.
Une autre figure de proue nous rejoint à la même époque…je veux parler de Daniel Raab. Personnalité tranchée à l’honnêteté intellectuelle sans faille, il gagne à être connu. Pétri de qualités morales, ce pourfendeur du racisme et de l’antisémitisme (il est président de la LICRA du Gers) co-anime la commission culturelle et de la Shoah depuis le début et nous représente dans toutes les manifestations importantes à Toulouse et dans la région. C’est un administrateur exigeant, efficace et indispensable.
Le rythme de nos offices à cette époque était d’un Shabbat matin par mois et de deux vendredi soir mensuels. Progressivement, les choses se mettaient en place, les Bne Mitzvot et les Milot se succédaient. Zeev Maoz nous avait rejoints. Israélien, il avait pris en charge bénévolementl’enseignement de l’hébreu au Talmud Torah.
Autre figure importante de notre Communauté, et certains d’entre vous l’ont connue : Hélène Wayenson dont la bonne humeur et la force de conviction ont séduit beaucoup de nouveaux membres qu’elle invitait généreusement chez elle pour des Shabbatot ou des cours. C’est Hélène qui nous a fait don du piano qui trône dans notre synagogue. Il faut savoir que ce piano a une histoire : il appartenait à une jeune fille disparue lors de la Shoah. Hélène est partie s’installer en Israël, réalisant son rêve de toujours. L’AJLT lui doit beaucoup.
Je me rends compte au fur et mesure que j’écris, combien il est important pour les nouveaux arrivants de connaître les histoires, les anecdotes, les personnes qui ont fait notre Communauté. Je prends conscience aussi de la responsabilité que j’exerce en écrivant. J’essaie d’être honnête et précis dans le déroulement des évènements ; j’ai la chance d’avoir une bonne mémoire, mais je connais les limites de cet exercice. Je suis comme un photographe engagé dans l’action, qui tente de n’oublier aucune partie du récit, mais qui a conscience de la subjectivité de l’angle de vue… je pense que vous me pardonnerez par avance certains oublis.
Nous avons reçu à plusieurs reprises des Rabbins ou étudiants Rabbins dans notre synagogue à l’occasion des Shabbatot, mais nous avons pris l’habitude de fonctionner de manière autonome. En cela, nous sommes quelque peu originaux, comparé aux autres Communautés.
La vie juive et ses nécessités
Très vite aussi, nous est apparu important d’obtenir un carré juif dans un cimetière mu-nicipal, afin de pouvoir répondre à une nécessité. Comment enterrer nos membres convertis et non reconnus par le consistoire, tout en évitant les problèmes avec la communauté de la rue Riquet. Nous avons obtenu gain de cause auprès de la mairie de Toulouse en 2004.
A ce sujet, Ytzhak Autard, engagé dans l’AJLT à la fin des années 1990, et devenu administrateur, avait joué un rôle important dans cette obtention, ainsi que Sarah Faust, qui arrivait de Besançon. Vous con-naissez peut-être la fin tragique d’Ytzhak. Sachez qu’il a été un administrateur efficace et apprécié de tous.
Sarah Faust a joué aussi un rôle important dans notre Conseil d’Administration, d’abord dans l’accueil des nouveaux venus, puis dans la représentation et dans la Commission Sociale.
Restait un problème important : comment et où trouver un Rabbin pour notre commu-nauté ? C’est en 2005 que j’ai pris contact avec le Rabbin Michel Liebermann à Marseille. Il avait animé la Communauté ULIF de la cité phocéenne pendant vingt-cinq ans et était libre depuis peu. Je l’ai fait venir à Toulouse à l’essai pendant quelques temps, puis nous lui avons proposé un poste à mi-temps, fin 2005. Il est resté en nos murs jusqu’en 2011.
Quelques temps auparavant, débarquent dans notre communau-té, un couple sympathique : Félix et Maguy Amselem, qui vont prendre une place importante. En plus de devenir le troisième mousquetaire, rejoignant Jacques et Guy dans la Commission Finance, Félix va prendre en charge, à notre demande, le rôle de trésorier. Apportant sa rigueur de gestion, ne se satisfaisant pas du court terme, nous faisant voir à juste titre plus loin que le bout de notre nez. Il a mis en pratique ses principes, participant à tous les évènements communautaires, cultuels ou culturels. Accueil des arrivants à la synagogue, habillement du Sefer Torah et préparation du Kidouch, pour Maguy, pétrissant chaque semaine un succulent pain de Shabbat. Bref, un couple discret mais efficace…
L’arrivée du 1er Rabbin
L’arrivée du Rabbin Liebermann fut un nouveau départ pour nous. Mais comment gérer un salaire substantiel ? Durant les quatre premières années nous avons été aidés financièrement par la WUPJ, et nous comptions sur une croissance importante de notre Communauté. Au début les choses allaient bien, il a apporté à la liturgie des airs nouveaux et entraînants. Il possédait un certain charisme, même si ses commentaires de Torah et ses cours étaient difficilement compréhensibles.
Il s’investit beaucoup : concerts, conférences, journées d’études ; d’autant plus qu’une idylle se tissa entre Sarah et lui, qui aboutit au mariage en 2008. Par la suite, du fait de son exercice à mi-temps, il privilégia son activité hors de Toulouse plutôt que sa Communauté. Malgré les remarques du Conseil d’Administration, les cafouillages de programme continuèrent. Je croyais à son potentiel et continuait d’espérer des lendemains qui chantent pour la Communauté. Mais l’embellie ne vint pas.
A partir de ce moment, le divorce d’avec le Conseil d’Administration fut inéluctable. Un bras de fer dura de Juillet 2010 à Avril 2011. Une mise à la retraite et la page était tournée.
Pendant ce temps, la Communauté s’organisa et nous pouvons être fiers du résultat. Non seulement l’unité a été maintenue, mais la Communauté s’est développée en terme de membres (+15%) durant cette difficile période.
Les Amis de l’AJLT
JUIN 2007, une date importante pour l’AJLT : la création des Amis de l’AJLT. Sous l’impulsion du CA et de membres très actifs comme Jean-Louis et Franck LEVY, Georges BENAYOUN, Pierre-Yves ALMARIC et quelques autres. Le but : ramasser des fonds pour offrir un local adapté à notre Communauté, le nôtre devenant trop exigu. Ce fut un suc-cès immédiat, sous la présidence de Georges BENAYOUN (un ami de quarante ans) et des frères LEVY, membres éminents de notre Communauté. Soirées de gala, brillantes et sympathiques, avec à la clé un capital qui nous permet de voir l’avenir autrement. Et la preuve en est, qu’à l’heure où nous allons entrer dans nos nouveaux locaux, les travaux d’aménagement seront en grande partie couverts par les dons. Les Amis de l’AJLT, comme son nom l’indique, est ouverte à tous, juifs ou non juifs, qui soutiennent le Judaïsme libéral à Toulouse. Le bureau, très actif, outre les personnes sus citées, est animé par une secrétaire très engagée, An-nick VERON, et un trésorier très carré, Jérôme OHAYON.
Rien n’arrive par hasard et depuis le début, j’ai la sensation qu’une main providentielle se manifeste juste au moment où nous en avons besoin, comme pour nous confirmer que notre chemin est le bon.